Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/73

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ment une partie de la forêt qui avait brûlé, quand je vis soudain Ballantrae, qui me précédait, se baisser derrière un tronc abattu. Je le rejoignis dans sa cachette, d’où l’on voyait aux alentours, sans être vu ; et, au fond du ravin proche, je découvris une forte troupe de sauvages armés en guerre, dont la marche allait couper notre chemin. Il y avait là peut-être l’équivalent d’un bataillon ; leurs torses étaient nus, enduits de graisse et de noir de fumée, et peinturlurés de céruse et de vermillon, suivant leur coutume barbare. Ils s’avançaient l’un derrière l’autre, à la file, comme des oies, et à un petit trot assez rapide, en sorte qu’ils mirent peu de temps à passer et à disparaître de nouveau parmi les bois. Pourtant, je crois bien que nous souffrîmes une plus forte torture d’hésitation et de suspens au cours de ces quelques minutes qu’il n’en tient d’ordinaire en toute la vie d’un homme. Ces Indiens étaient-ils Français ou Anglais ? voulaient-ils des scalps ou des prisonniers ? Devions-nous à tout hasard nous montrer, ou rester cachés pour continuer ensuite notre démoralisant voyage ? Ces questions auraient mis en échec le cerveau d’Aristote lui-même. Ballantrae se tourna vers moi. Un rictus affreux lui tordait la bouche et laissait voir ses dents, comme j’ai lu que cela se produit chez ceux qui meurent de faim. Il ne dit rien, mais toute sa personne semblait poser une question redoutable.

– Ils sont peut-être du parti anglais, chuchotai-je, et songez, alors ! ce que nous aurions de mieux à espérer, ce serait de recommencer pareille évasion !

– Je sais… je sais… dit-il. Cependant, il faut en finir.

Et soudain il tira son éternelle pièce de monnaie, l’agita dans le creux de ses mains, regarda, puis se coucha la face dans la poussière.


Addition de Mr. Mackellar


J’abandonne le récit du chevalier, parce que tous deux se querellèrent et se séparèrent le même jour ; et