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DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

— De grâce, Madame, donnez-moi le temps, poursuivit-il. Quand je vous vis pour la première fois, vous étiez encore toute jeune. Ce n’est pas le premier venu qui aurait remarqué alors vos talents ; mais vous ne m’eûtes pas honoré plus de deux fois de votre conversation, que je compris que j’avais trouvé le maître qu’il me fallait. Je crois, Madame, posséder quelque génie, et j’ai beaucoup d’ambition. Mais mon génie est celui du service, et pour donner carrière à mon ambition il me fallait d’abord trouver quelqu’un né pour le commandement. Ce fut là la base et l’essence de notre union. Tous deux nous avions besoin l’un de l’autre : maîtresse et serviteur, levier et point d’appui, nous reconnûmes chacun l’un dans l’autre le complément de nos dons spéciaux. Les mariages, dit-on, sont faits dans le ciel ; à quelle plus forte raison peut-on le dire de ces associations pures, laborieuses, toutes intellectuelles, destinées à fonder des empires ! Du reste, ce ne fut pas là tout. Nous nous trouvâmes tous deux mûrs, pleins d’idées grandioses qui prirent forme plus nette et claire à chaque parole. Nous grandîmes tous deux en intelligence comme des jumeaux. Jusqu’au jour où nous nous rencontrâmes, ma vie était restreinte, tâtonnante. N’en était-il pas de même, oui, j’oserai franchement m’en vanter et affirmer qu’il en était de même chez vous ! Ce ne fut qu’alors que vous eûtes ce coup d’œil d’aigle, cette intuition large et si pleine de promesses. C’est ainsi que nous nous formâmes l’un l’autre… et nous étions prêts !

— C’est vrai, s’écria-t-elle, je le sens. C’est à