Page:Stevenson - Le Roman du prince Othon.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
LE ROMAN DU PRINCE OTHON

comme d’une chaudière bouillante. Les groupes se séparèrent. Peu à peu, l’un suivant l’autre, la foule entière se forma en procession, et fit escorte à la litière fermée. Bientôt quelques orateurs plus hardis que leurs compagnons commencèrent à presser le chancelier de questions. Jamais de sa vie ce dernier n’avait eu plus grand besoin de ce bel art du mensonge, de l’exercice duquel il avait, jusque-là, si grassement vécu. En cet instant critique, cependant, il broncha ; la peur, sa, passion capitale, le trahit. On le pressa plus fort, il devint incohérent. Et en ce moment, de la litière cahotée, s’échappa un gémissement. Ce fut comme un signal. À l’émoi qui sur l’instant agita et resserra la foule, le chancelier, avec la clairvoyance de la terreur, reconnut le grincement de l’horloge qui va sonner l’heure fatale ; mais pendant dix secondes (qui feront amende pour plus d’un de ses péchés) il s’oublia lui-même. Tirant un des porteurs par la manche : Courez dire à la princesse qu’il faut fuir ! lui souffla-t-il à l’oreille. Tout est perdu ! — Et un instant après il se débattait, balbutiant, pour sa vie, au milieu de la cohue.

Cinq minutes plus tard, le domestique effaré se précipitait dans le cabinet d’armes. — Tout est perdu ! cria-t-il. Le chancelier vous fait dire de fuir !

Au même moment, par la fenêtre, Séraphine vit la marée noire de la populace envahir l’avenue scintillante. — Merci, Georges ! dit-elle. Je vous remercie. Partez. Et comme cet homme hésitait encore, elle ajouta : Partez, je vous en prie ; voyez à vous sauver.