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HEUREUSE INFORTUNE

walden n’était que l’éclair d’une amorce. La mine avec laquelle les sapins semblaient la regarder commença à changer insensiblement ; le gazon lui-même, quelque court qu’il fût, et aussi l’escalier tournant du ruisseau, prirent peu à peu un air de fraîcheur solennelle. Et cette lente transfiguration pénétrait jusqu’à son cœur, en faisait jouer les cordes, le faisait palpiter d’un grave frémissement.

Elle jeta les yeux autour d’elle ; la face entière de la nature lui répondit, d’un air plein de mystérieuse signification, le doigt sur les lèvres, laissant filtrer son heureux secret. Elle leva la tête : le ciel était presque vide d’étoiles, le peu qui s’attardaient encore à leur poste y brillaient d’une lueur faible et altérée, et songeaient à s’évanouir. Et le ciel lui-même avait pris une couleur merveilleuse, car maintenant le bleu foncé de la nuit s’était fondu, adouci, éclairci, et une teinte sans nom lui avait succédé, cette teinte qu’on ne voit jamais que comme l’avant-coureur du jour. — Oh ! s’écria-t-elle d’une voix entrecoupée par la joie. Oh !… c’est l’aube !

D’un trait, elle franchit le ruisseau, releva ses jupes, et se mit à courir dans le crépuscule des allées. Et tout en courant, ses oreilles prenaient note de maints légers bruits plus admirables que la musique même : car, au fond de leurs habitations, petits nids bâtis au coude des bras géants, les chanteurs aux yeux brillants, au cœur gonflé, amoureux chaudement serrés l’un contre l’autre, commençaient à se réveiller pour la journée. Son cœur se fondait en tendresse et se coulait vers