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LE ROMAN DU PRINCE OTHON

la clef de la sagesse. Vous, Messieurs, vous avez tous deux trop de mérite pour être gens à pardonner.

— Le paradoxe est un peu forcé, dit Gotthold.

— Un moment, colonel ! dit le prince. Je vous absous volontiers de toute mauvaise intention, mais vos paroles n’en sont pas moins d’une ironie mordante. Pensez-vous vraiment qu’il me soit agréable de m’entendre féliciter sur mes vertus au moment même où j’expie (en toute justice, je suis prêt comme vous à l’admettre) mes longues iniquités ?

— Oh ! pardon, prince ! Vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir été expulsé du cours de théologie, que d’avoir été cassé. Je le sais, moi, cassé pour négligence de service ! À parler vrai, Altesse, j’étais gris. Maintenant, poursuivit le colonel tout en cherchant son verre de la main, je ne me grise plus. Quand on a appris, comme moi, à connaître tous les défauts de son caractère, quand on en est venu à ne plus se considérer que comme un simple toton titubant au travers de la vie, on commence, voyez-vous, à se faire de nouvelles idées au sujet du pardon. Le jour où j’aurai réussi à me pardonner à moi-même, je me sentirai capable de ne plus pardonner aux autres, pas avant. Mais en vérité, Monseigneur, ce jour me paraît encore fort éloigné. Alexandre Gordon, ministre de l’Évangile, mon père, fut homme de bien… et dur en diable à son prochain. Moi, je suis mauvais : voilà toute la différence ; et je maintiens que quiconque est incapable de pardonner une offense, quelle qu’elle soit, ne sera jamais qu’un blanc-bec en ce monde.