Page:Stevenson - Le cas étrange du Dr. Jekyll et de M. Hyde, trad Varlet, 1931.djvu/122

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froide ; un pâle croissant de lune, couché sur le dos comme si le vent l’eût culbuté, luisait sous un tissu diaphane et léger de fuyantes effilochures nuageuses. Le vent coupait presque la parole et sa flagellation mettait le sang au visage. Il semblait en outre avoir vidé les rues de passants plus qu’à l’ordinaire ; et M. Utterson croyait n’avoir jamais vu cette partie de Londres aussi déserte. Il eût préféré le contraire ; jamais encore il n’avait éprouvé un désir aussi vif de voir et de coudoyer ses frères humains ; car en dépit de ses efforts, il avait l’esprit accablé sous un angoissant pressentiment de catastrophe. Lorsqu’ils arrivèrent sur la place, le vent y soulevait des tourbillons de poussière, et les ramures squelettiques du jardin flagellaient les grilles. Poole, qui durant tout le trajet n’avait cessé de marcher un pas ou deux en avant, fit halte au milieu de la chaussée, et malgré l’âpre bise, il retira son chapeau et s’épongea le front avec un mouchoir de poche rouge. Mais en dépit de la course rapide, ce qu’il essuyait n’était pas la transpiration due à l’exercice, mais bien la sueur d’une angoisse qui l’étranglait, car sa face était blême et sa voix, lorsqu’il prit la parole, rauque et entrecoupée.

— Eh bien, monsieur, dit-il, nous y voici, et Dieu fasse qu’il ne soit pas arrivé de malheur.

— Ainsi soit-il, Poole, dit le notaire.

Là-dessus le valet heurta d’une façon très discrète ; la porte s’ouvrit, retenue par la chaîne ; et de l’intérieur une voix interrogea :