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Page:Stevenson - Le cas étrange du Dr. Jekyll et de M. Hyde, trad Varlet, 1931.djvu/232

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cette créature qui partageait avec lui quelques-uns des phénomènes de la conscience, et qui serait sa co-héritière à une même mort ; et, en sus de ces liens de communauté, qui constituaient par eux-mêmes les plus âcres de ses détresses, il voyait en Hyde, malgré toute sa puissante vitalité, un être non seulement infernal mais inorganique.

Ceci était le plus révoltant : que le limon de l’abîme en vînt à s’exprimer par le cri et par le verbe ; que l’amorphe poussière gesticulât et péchât ; que ce qui était inerte et n’avait pas de forme, pût usurper les fonctions de la vie. Et ceci encore : que cette larve monstrueuse fût associée à lui plus intimement qu’une épouse, plus intimement que la prunelle de ses yeux, qu’elle fût emprisonnée dans sa chair, où il l’entendait murmurer, où il la sentait s’efforcer vers la liberté ; qu’à chaque heure de faiblesse, et dans l’abandon du sommeil, elle prévalût contre lui et le dépossédât de son être. La haine de Hyde envers Jekyll était d’un ordre différent. Sa terreur du gibet le poussait naturellement à commettre un suicide provisoire et à reprendre sa situation subordonnée de partie au lieu d’individu ; mais il abhorrait cette nécessité, il abhorrait la mélancolie où s’enfonçait de plus en plus Jekyll, et il lui en voulait du dégoût avec lequel ce dernier le considérait. De là provenaient les mauvais tours qu’il me jouait sans cesse, griffonnant de ma propre écriture des blasphèmes en marge de mes livres, brûlant les lettres et déchi-