il pût le reconnaître ; même dans ses rêves, il manquait de visage, ou bien celui-ci était un leurre qui s’évanouissait sous son regard…
Ce fut de la sorte que naquit et grandit peu à peu dans l’esprit du notaire une curiosité singulièrement forte, quasi désordonnée, de contempler les traits du véritable M. Hyde. Il lui aurait suffi, croyait-il, de jeter les yeux sur lui une seule fois pour que le mystère s’éclaircît, voire même se dissipât tout à fait, selon la coutume des choses mystérieuses quand on les examine bien. Il comprendrait alors la raison d’être de l’étrange prédilection de son ami, ou (si l’on préfère) de sa sujétion, non moins que des stupéfiantes clauses du testament. Et en tout cas ce serait là un visage qui mériterait d’être vu ; le visage d’un homme dont les entrailles étaient inaccessibles à la pitié ; un visage auquel il suffisait de se montrer pour susciter dans l’âme du flegmatique Enfield un sentiment de haine tenace.
À partir de ce jour, M. Utterson fréquenta assidûment la porte située dans la lointaine petite rue de boutiques. Le matin avant les heures de bureau, le soir sous les regards de la brumeuse lune citadine, par tous les éclairages et à toutes les heures de solitude ou de foule, le notaire se trouvait à son poste de prédilection.
« Puisqu’il est M. Hyde, se disait-il, je serai M. Seek[1]. »
- ↑ Jeu de mots. To hide = se cacher ; to seek = chercher.