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bergiste en lui offrant une poignée de monnaie, payez-vous et rendez-moi ma banknote ! »

L’aubergiste, fidèle à sa politique d’obliger tous ses clients, ne fit point d’opposition à mon offre. La situation de mon adversaire devenait décidément mauvaise. Il avait perdu mon compagnon : il était sur le point de me perdre aussi. L’épiant du coin de l’œil, je vis qu’il hésitait un instant. Mais, dès le moment d’après, il avait pris son chapeau et sa perruque, qui était de crin noir ; et je vis qu’il retirait de derrière son banc un vaste manteau à capuchon et une petite valise. « Diable, me dis-je, le coquin aurait-il l’intention de me suivre ? »

J’étais à peine sorti de l’auberge que déjà il se trouvait sur mes talons. J’aperçus son visage aux rayons de la lune ; j’y découvris la résolution la plus obstinée, jointe à un calme inébranlable. Un petit frisson me traversa les os. Qui pouvait bien être cet individu ? Ses traits me révélaient simplement un homme qui devait avoir l’habitude d’assister aux procès criminels. Mais en quelle qualité y assistait-il ? Hélas ! ce n’était que trop aisé à deviner : en qualité d’agent de la police secrète !

Le chariot devait m’attendre à cinq cents pas peut-être de l’auberge, sur la route même que je suivais. Et je me dis que, après quelques minutes de marche, je tiendrais mon homme à ma discrétion. Puis une réflexion me vint, juste à temps. Non, à aucun prix je ne pouvais permettre que ce subtil observateur vît le chariot ! Et ainsi, jusqu’au moment où je me serais débarrassé de lui, je me trouvais séparé de mes compagnons, seul au milieu de l’Angleterre, sur un sentier gelé conduisant je ne sais où, avec un dogue infernal à mes trousses, et sans autre ami que mon gourdin à nœuds !

Nous arrivâmes à un endroit où des sentiers se croisaient. Celui de gauche était bordé d’arbres, enfoncé et sombre. Je le pris à tout hasard. Mon bourreau suivit mon exemple, en silence ; puis il retrouva sa voix.

« Ce n’est pas le chemin pour aller chez M. Merton ! dit-il.