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Nous sommes seuls, il fait nuit, et je suis résolu. N’avez-vous pas peur ?

— Non, fit-il, pas du tout ! Je ne sais pas boxer, monsieur ; mais je ne suis pas un lâche, comme vous semblez l’avoir supposé. Mais, au reste, peut-être cela simplifiera-t-il nos relations si je vous dis tout de suite que je suis armé ! »

Le plus promptement que je pus, je fis mine d’asséner mon bâton sur sa tête ; mais aussitôt il détourna le coup, et je vis un pistolet briller dans sa main.

« Pas de ça, monsieur Prisonnier Français dit-il.

— Mais enfin, mon ami, dis-je en abaissant mon bâton, pourquoi ne voulez-vous pas considérer cette affaire sans parti pris ? Vous n’êtes pas un lâche, ni moi non plus ; nous sommes tous les deux hommes de sens ; pourquoi ne pas admettre que j’aie mes raisons pour tenir secrètes mes affaires et pour voyager seul ? Et comment puis-je me résigner à supporter votre continuelle ingérence dans mes intérêts privés ?

— Encore un mot français ! fit l’homme, du ton le plus tranquille.

— Hé ! que le diable emporte vos mots français ! m’écriai-je. C’est vous-même qui avez l’air d’être Français !

— C’est que j’ai eu bien des occasions, dont j’ai profité expliqua-t-il. Peu d’hommes, j’ose le dire, sont plus au courant des similitudes et des différences des deux idiomes, tant au point de vue du vocabulaire que de la prononciation.

— Sans compter que vous savez aussi être bien pompeux ! dis-je.

— Oh ! je sais proportionner mon discours à la qualité des personnes ! Je puis m’entretenir simplement avec des rustres du Bedfordshire ; et je puis aussi, du moins je l’espère, m’exprimer de la façon qui convient en compagnie d’un gentleman bien élevé, tel que vous !

— Ah ! si vous vous piquez d’être un gentleman ! commençai-je.