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vérité, rien n’est plus éloigné de mon intention. Au contraire, je ne saurais tarder davantage à vous renseigner sur un point qui, j’ai regret à le dire, vous concerne essentiellement. Votre oncle, ce soir même, a déchiré son testament ancien, et en a fait un autre en faveur de votre cousin Anne. C’est ainsi : et vous allez d’ailleurs l’entendre de ses propres lèvres, puisque vous paraissez y tenir ! Je prends la chose sur moi ! ajouta le notaire, en se levant.

— Messieurs ; veuillez me suivre ! »

M. Romaine sortit si rapidement de la chambre, et fut si rapidement suivi d’Alain, que j’eus fort à faire pour ramasser le reste de l’argent, pour refermer le portefeuille et pour les rejoindre, après une longue course dans le labyrinthe de corridors qu’était la maison de mon oncle. Le notaire nous fit entrer dans un petit salon, nous pria de l’attendre quelques instants, puis, se glissant par une autre porte, nous laissa, Alain et moi, en tête à tête.

En vérité mon cousin n’avait rien fait pour se gagner ma faveur ; toutes ses paroles avaient été empreintes d’hostilité, d’envie et d’un dédain haineux qu’on ne saurait supporter sans humiliation. De mon côté, je ne m’étais guère montré plus conciliant. Et, cependant, je commençais à ressentir un peu de pitié pour cet homme, malgré ce que je savais de ses louches industries. Je songeais que c’était chose presque indécente que, élevé dans l’attente de ce grand héritage, il se vît tout à coup, à la dernière heure, chassé de la maison, abandonné à lui-même, à sa pauvreté, à cette misère que je lui avais si durement rappelée tout à l’heure.

À peine fus-je seul avec lui, que je m’empressai d’amener le pavillon blanc.

« Mon cousin, dis-je, croyez-moi, je ne suis nullement porté à être votre ennemi ! »

Il s’arrêta en face de moi, — car il avait refusé de s’asseoir, lorsque M. Romaine l’y avait invité, — il prit une pincée de tabac dans une tabatière d’or, et, tout en