Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/212

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et suivi de ses mésaventures ; elle continuait à répandre le plus extraordinaire mélange de pédantisme de pensionnat et d’incohérence féminine.

« Je suis sûre que c’est un accès de folie qui m’a aveuglée ! gémissait-elle. Et puis, tout à coup, le rideau s’est levé ! Oh ! quel affreux moment ! Mais vous, j’ai su tout de suite quel homme vous étiez : vous n’ayez eu qu’à sortir de votre chaise, et je l’ai su ! Oh ! elle doit être bien heureuse, la dame que vous aimez ! Et moi je ne crains rien avec vous ! Une confiance parfaite !

— Madame, dis-je, un gentleman…

— C’est cela que je veux dire, un gentleman ! s’écria-t-elle. Et lui, lui, voilà ce qu’il n’est pas ! Oh comment oserai-je affronter papa ? »

Puis, me découvrant son visage taché de larmes, et levant ses bras d’un geste tragique :

« Et puis me voilà tout à fait déshonorée devant toutes les demoiselles du pensionnat, mes compagnes ! ajouta-t-elle.

— Oh, vous vous exagérez votre malheur, ma chère miss… Excusez-moi si je suis trop familier : je n’ai pas entendu votre nom

— Mon nom est Dorothée Greensleeves, monsieur, pourquoi vous le cacherais-je ? Il n’y avait point, dans tout notre comté, une jeune fille plus désireuse que moi d’être bien jugée. Et quelle chute j’ai faite ! Plus d’espoir ! Oh ! monsieur… »

Elle s’arrêta et me demanda mon nom.

Je n’écris pas ici mon éloge pour une académie ; je veux bien admettre que c’était d’une imbécillité impardonnable, mais je dis mon nom, mon vrai nom, à la demoiselle. Si vous aviez été à ma place, monsieur mon lecteur, et si vous l’aviez vue, délicieusement petite et gentille, et si vous l’aviez entendue parlant comme un livre, avec tant de correction grammaticale à la fois et d’innocent désespoir, vous lui auriez, vous aussi, probablement, dit votre nom ! Elle le répéta après moi.