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homme était tout extérieure ; à l’intérieur, j’avais conscience d’un examen incessant. La scène devant la porte, les confidences impertinentes du postillon, rien de tout cela n’avait été perdu pour l’aubergiste : et c’est avec une très vive appréhension de quelque nouvel ennui que je me laissai conduire dans la chambre n° 4. Mais surtout, maintenant que mon nom avait été divulgué, je craignais la malle-poste qui n’allait point tarder à venir, et les petites affiches de prise de corps qu’elle ne pouvait pas manquer d’apporter ; de telle manière que je sentais bien que je ne pourrais pas achever tranquillement mon repas avant d’avoir à jamais coupé toutes mes relations avec la chaise lie-de-vin.

En conséquence, aussitôt que le dîner fut servi, je fis demander au maître de l’auberge de venir boire un verre de vin avec moi. Il arriva, nous échangeâmes les civilités d’usage et, tout de suite, j’abordai mon sujet.

« À propos, dis-je, nous avons eu un petit accident, sur la route, aujourd’hui. Je suppose que vous en aurez déjà entendu parler ? »

Il fit un signe de tête.

« Et, par malchance, une balle de pistolet est entrée dans un des panneaux de ma chaise, poursuivis-je, ce qui va mettre celle-ci hors d’usage pour moi. Ne connaîtriez-vous pas quelqu’un qui fût disposé à l’acheter ?

— Oh ! je comprends fort bien cela ! dit l’aubergiste. Je viens justement de la voir, cette chaise : le fait est que c’est comme si elle était en morceaux. D’une façon générale, les gens n’aiment pas les chaises qui ont des trous de balles !

— N’est-ce pas ? fis-je, sans trop savoir où il voulait en venir.

— Parfaitement ! Les gens ont peut-être raison, ils ont peut-être tort : je n’en suis pas juge. Mais, au fond, je crois que leur sentiment est assez naturel, car les personnes respectables aiment à avoir affaire à des choses respectables : elles n’aiment pas les trous de balles, ni les