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dit, et venez de bonne heure, car j’ai un véritable phénix à vous présenter, un certain M. Ducie, un nouveau client à moi, dont j’avoue que, tout de suite, je suis devenu amoureux ! » Et comme j’avais prévenu Flora, la veille, du nouveau nom que j’allais prendre, elle avait aussitôt compris que je m’étais arrangé de façon à la rejoindre chez M. Robbie. Aussi y était-elle venue elle même dans un état passionnément mélangé d’attente joyeuse et d’inquiétude.

Dès son arrivée, Flora s’était choisi une place tout proche de la porte, où je la trouvai installée, avec un cercle de vagues jeunes gens autour d’elle. Et, quand elle me vit entrer, elle se leva pour venir au-devant de moi de la façon la plus naturelle du monde, après avoir soigneusement préparé la phrase dont elle m’accueillerait.

« Comment allez-vous, M. Ducie ? dit-elle. Il y a un siècle que je ne vous ai vu !

— Oui, et j’ai bien des choses à vous dire, miss Gilchrist ! répondis-je. Me permettrez-vous de m’asseoir près de vous ? »

Car l’artificieuse fille, en s’asseyant près de la porte, et en tirant un sage parti de son châle, avait réussi à garder une chaise vide à côté de sa chaise.

Elle ôta son châle de la chaise et me fit asseoir, toujours avec un naturel parfait : sur quoi les jeunes gens eurent la discrétion de nous laisser seuls. Mais à peine fus-je assis qu’elle me murmura derrière son éventail :

« Est-ce que vous êtes fou ?

— Fou d’amour, en tout cas ! répondis-je.

— Vous ne pouvez pas vous figurer ce que vous me faites souffrir ! dit-elle. Qu’allez-vous dire à Ronald, au major Chevenix, à ma tante ?

— Votre tante ? m’écriai-je avec un sursaut. Dieu puissant ! Est-elle ici ?

— Elle est dans la pièce voisine, en train de jouer au whist ! dit Flora.

— Et elle y restera probablement toute la soirée ? suggérai-je.