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sonnier à garder ; je l’ai laissé fuir ; le moins que l’on pouvait faire était de me dégrader.

— Mais à présent vous en toucherez la récompense ! dit-il. Vous avez bien agi, pour vous-même et pour votre roi

— Si j’avais pu penser un seul instant que je faisais tort à mon empereur, répondis-je, j’aurais plutôt fusillé moi-même ce M. de Mauséant que de le laisser s’échapper ! Je n’ai vu en lui qu’un homme privé, j’en ai eu pitié, et c’est par charité privée que je lui ai épargné la fusillade. Je n’entends pas que, même pour mon plus grand profit, on se méprenne sur ma façon d’agir !

— Bien, bien dit le notaire, ceci ne nous regarde point pour le moment ! Je vous assure seulement que vous apportez aux choses une chaleur bien déraisonnable, mon jeune ami, un enthousiasme bien déplacé, croyez-moi ! Le fait est que M. de Mauséant a parlé de vous avec reconnaissance, et que la façon dont il a dépeint votre personne s’est trouvée être la plus propre du monde à modifier les vues de votre grand-oncle. Et puis voilà que votre humble serviteur est arrivé chez le marquis, quelque temps après, et a étalé devant lui la preuve directe de ce que lui et moi soupçonnions depuis bien longtemps. Désormais, aucun doute possible. Le train de vie infiniment coûteux de M. Alain, ses costumes et ses maîtresses, ses pertes aux dés et aux courses, tout s’expliquait : il s’était mis au service de Bonaparte, en qualité d’espion, et tenait les fils de ce que je me bornerai à appeler un grand filet d’entreprises extrêmement fâcheuses. Pour rendre justice à M. de Kéroual, je dois ajouter qu’il s’est comporté, ici encore, de la manière la plus galante possible : il a détruit les preuves du déshonneur de l’un de ses petits-neveux, — et il a entièrement transporté son intérêt sur l’autre.

— Que faut-il que j’entende par là ? demandais-je.

— Je vais vous le dire ! reprit-il. Il y a dans la nature humaine une inconséquence singulière, que les hommes de ma condition ont, plus que les autres, peut-être l’occasion