Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à toutes ces misères et à toutes ces infamies… En un mot, monsieur, il a vu toutes les beautés du régime pour lequel son neveu a cru devoir prendre les armes ; et il a le malheur de ne pas les apprécier !

— Vous parlez avec une amertume que je ne me permettrai point de juger, répondis-je. Mais lequel de nous deux aurait le plus de motifs d’être amer ? Cet homme, mon grand-oncle, s’est enfui. Mes parents, qui n’avaient point son heureuse sagesse, sont restés. Ils ont même d’abord été républicains, et ils n’ont pu se résigner à désespérer de leur pays. C’était évidemment une impardonnable folie ; mais il n’y a rien qui m’inspire plus de révérence pour eux. Ainsi d’abord mon père, puis ma mère ont péri. Si j’ai en moi quelque chose d’un gentilhomme, tous ceux à qui je le dois sont morts sur l’échafaud, et ma dernière école de belles manières a été la prison de l’Abbaye. Prétendriez-vous enseigner l’amertume à un homme qui a derrière lui une histoire comme la mienne ?

— Ma prétention ne va pas jusque-là ! répondit-il. Et pourtant je ne puis comprendre qu’un homme de votre sang, et avec des souvenirs tels que les vôtres, ait consenti à servir le Corse. Non, je ne puis pas le comprendre : il me semble que tout ce qu’il y a de généreux en vous aurait dû se soulever contre cette tyrannie !

— Eh bien ! répondis-je, je crois cependant que, vous aussi, si vous aviez vu votre pays exposé à une invasion française, vous vous seriez résigné, pour le sauver, à vous mettre même au service d’un tyran irlandais !

— Allons, allons, répondit M. Romaine, admettons-le ! Il y a des choses qu’on ne discute pas ! »

Et, là-dessus, après un signe de la main, il disparut dans un escalier, sous l’ombre d’une arche à créneaux.