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château d’Édimbourg, qui — peut-être mon lecteur ne l’ignore-t-il pas ? — se dresse au milieu de cette ville, sur la pointe d’un rocher fort extraordinaire.

J’avais là pour compagnons plusieurs centaines de pauvres diables, tous simples soldats comme moi, et dont la plupart se trouvaient être des paysans ignorants et peu dégrossis. Ma connaissance de la langue anglaise, qui m’avait conduit à cette fâcheuse position, m’aidait maintenant beaucoup à la supporter. Elle me procurait mille petits avantages. Souvent on m’appelait pour servir d’interprète, soit que l’on eût des ordres à donner aux prisonniers, ou que ceux-ci eussent à faire quelque réclamation ; et ainsi j’entrais en rapports, parfois même assez familiers, avec les officiers anglais chargés de nous garder. Un jeune lieutenant avait daigné me choisir pour être son adversaire aux échecs ; j’étais particulièrement habile à ce jeu, et m’arrangeais si galamment pour perdre la partie que le petit lieutenant m’offrait, en récompense, d’excellents cigares. Le major du bataillon prenait de moi des leçons de français pendant son déjeuner, et parfois il poussait la condescendance jusqu’à me permettre de partager son repas. Ce major s’appelait Chevenix. Il était raide comme un tambour-major, et égoïste comme un Anglais, mais c’était un homme d’honneur. Sans pouvoir me résoudre à l’aimer, je me fiais à lui ; et, pour insignifiante que la chose puisse sembler, j’étais fort heureux de pouvoir, à l’occasion, plonger mes doigts dans sa tabatière d’écaille, où une fève achevait de donner un goût délicieux à du tabac d’Espagne de première qualité.

Nous étions, en somme, une troupe de prisonniers d’assez peu d’apparence. Tous les officiers français pris avec nous avaient obtenu leur liberté, moyennant leur parole d’honneur de ne pas sortir d’Édimbourg. Ils vivaient pour la plupart dans la ville basse, logés chez l’habitant ; et ils s’ennuyaient de leur mieux, supportant le plus philosophiquement qu’ils pouvaient les mauvaises