Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/137

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à la vie des généralités abstraites ou du non-vivant. Dieu, qui est Esprit, est seul vivant : rien ne vit que le fantôme.

Comment peut-on soutenir que la philosophie moderne et l’époque moderne sont parvenues à la liberté, puisqu’elles ne nous délivrent pas du joug de l’objectivité ? Est-ce que par hasard je serais affranchi d’un despote lorsque, au lieu de le redouter personnellement, je me mets à redouter toute atteinte à la vénération que je m’imagine lui devoir ? C’est pourtant là que nous en sommes actuellement. La pensée moderne n’a fait que transformer les objets existants, le despote réel, etc., en objets imaginaires, c’est-à-dire en idées. Et que devient l’ancien respect, vis-à-vis de ces idées ? Disparaît-il ? Au contraire, il ne fait que redoubler de ferveur. On s’est moqué de Dieu et du Diable, sous leur forme épaisse et vulgairement réelle d’autrefois, mais ce n’a été que pour prendre d’autant plus au sérieux leur notion abstraite. « Affranchi du Méchant, on a gardé le mal. »

On ne se fit aucun scrupule de se révolter contre l’état de choses existant et de renverser les lois régnantes lorsqu’on eut pris une fois pour toutes la résolution de ne plus s’en laisser imposer par l’actuel et le palpable ; mais qui se serait permis de pécher contre l’idée de l’État, et de ne pas se soumettre à l’idée de la Loi ? Et l’on resta « citoyen » on resta homme « légal », loyal ; on se crut même d’autant plus « légal » qu’on abolissait plus rationnellement les vieilles lois boiteuses pour rendre hommage à l’ « esprit de la Loi ». En somme, les objets n’avaient fait que se transformer, sans rien perdre de leur puissance et de leur souveraineté, et l’on resta plongé dans l’obéissance, on resta possédé ; on vécut dans la réflexion, il y eut toujours un Objet auquel on réfléchit, que l’on respecta, et devant lequel on se sentit plein de vénération et de crainte. On n’avait fait que transmuer les choses en images ou en représentations des