Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/145

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Christ ? Se garantir contre les coups du sort, et ne plus être à leur merci. Les Stoïciens y parvinrent par l’apathie, en considérant comme indifférents les hasards de la nature et en ne se laissant pas affecter par eux. Horace, par son célèbre nil mirari, proclame également son indifférence vis-à-vis de l’« Autre », du Monde, qui ne doit ni influer sur nous ni exciter notre étonnement. Et l’impavidum ferient ruinae du poète exprime précisément la même impassibilité que le troisième verset du psaume XLV : « Nous ne craindrons pas, quand la terre sera renversée…, etc. » En tout cela est en germe l’aphorisme chrétien sur la vanité du monde, et aussi le chrétien mépris du monde.

L’impassibilité d’esprit du « sage », par laquelle le monde antique préparait sa ruine, reçut une secousse intérieure contre laquelle ni ataraxie ni stoïcisme ne purent la protéger. L’Esprit, soustrait à l’influence du monde, insensible à ses coups, élevé au-dessus de ses attaques, cet Esprit qui ne s’étonnait plus de rien et que l’écroulement du monde eût été incapable d’émouvoir, vint à déborder irrésistiblement, distendu par les « gaz » (spiritus, gaz, vapeur) nés à son intérieur ; et lorsque les chocs mécaniques venus du dehors furent devenus impuissants contre lui, les affinités chimiques excitées en son sein entrèrent en jeu et commencèrent à exercer leur merveilleuse action.

L’histoire ancienne est virtuellement close le jour où je parviens à faire du monde ma propriété. « Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains  » Le monde cesse de m’écraser de sa puissance, il n’est plus inaccessible, sacré, divin, etc., « les dieux sont morts », et je traite si bien le monde selon mon bon plaisir qu’il ne tiendrait qu’à moi d’y opérer des miracles (qui sont des œuvres de l’Esprit) ; je pourrais renverser des montagnes, ordonner à ce mûrier de se déraciner et de s’aller jeter dans la