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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/155

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comme « usurpés », ne firent que retourner à la bourgeoisie, qui s’appelait à présent la « Nation ». Tous les privilèges retombèrent « dans les mains de la Nation » ; aussi cessèrent-ils d’être des « privilèges » pour devenir des « droits ». Désormais, c’est la Nation qui percevra les dîmes et les corvées ; c’est elle qui a hérité des droits seigneuriaux, du droit de chasse — et des serfs. La nuit du 4 Août fut la nuit de mort des privilèges (les villes, les communes, les magistratures étaient privilégiées, dotées de privilèges et de droits seigneuriaux), et lorsqu’elle prit fin se leva l’aube du Droit, des droits de l’État, des droits de la Nation.

Le despotisme n’avait été dans la main des rois qu’une règle complaisante et lâche, au prix de ce qu’en fit la « Nation souveraine ». Cette monarchie nouvelle se révéla cent fois plus sévère, plus rigoureuse et plus conséquente que l’ancienne ; devant elle, plus de droits, plus de privilèges ; combien, en comparaison, paraît tempérée la royauté absolue de l’Ancien Régime ! La Révolution, en réalité, substitua à la monarchie tempérée la véritable monarchie absolue. Désormais, tout droit que ne concède pas le Monarque-État est une « usurpation », tout privilège qu’il accorde devient un « droit ». L’esprit du temps exigeait la royauté absolue, et c’est ce qui causa la chute de ce qu’on avait appelé jusqu’alors royauté absolue, mais qui avait consenti à être si peu absolue qu’elle se laissait rogner et limiter par mille autorités subalternes.

La bourgeoisie a accompli le rêve de tant de siècles ; elle a découvert un maître absolu auprès duquel d’autres maîtres ne peuvent plus se dresser comme autant de restrictions. Elle a produit le maître qui seul accorde des « titres légitimes » et sans le consentement duquel rien n’est légitime. « Nous savons que les idoles ne sont rien dans le monde, et qu’il n’y a d’autre dieu que le seul Dieu . »