Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/214

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Réciproquement, si j’étais un Critique et le contradicteur du Dogmatique, je conduirais le combat du penser libre contre la pensée qui enchaîne, et je défendrais le penser contre le pensé. Mais je ne suis le champion ni du penser ni d’une pensée, car mon point de départ est Moi, qui ne suis pas plus une pensée que je ne consiste dans le fait de penser. Contre Moi, l’innommable, se brise le royaume des pensées, du penser et de l’esprit.

La Critique est la lutte du possédé contre la possession comme telle, contre toute possession ; elle naît de la conscience que partout règne la possession ou, comme l’appelle le Critique, le rapport religieux et théologique. Il sait que ce n’est pas seulement envers Dieu qu’on se comporte religieusement et qu’on agit en croyant ; il sait que l’on peut être également religieux et croyant en face d’autres idées telles que Droit, État, Loi, etc. ; autrement dit, il reconnaît que la possession est partout et revêt toutes les formes. Il en appelle au penser contre les pensées ; mais moi je dis que seul le non-penser me sauve des pensées. Ce n’est pas le penser qui peut me délivrer de la possession, mais bien mon absence de pensée, ou Moi, l’impensable, l’insaisissable.

Un haussement d’épaules me rend les mêmes services que la plus laborieuse méditation, allonger mes membres dissipe l’angoisse des pensées, un saut, un bond renverse l’Alpe du monde religieux qui pèse sur ma poitrine, un hourra d’allégresse jette à terre des fardeaux sous lesquels on pliait depuis des années. Mais la signification formidable d’un cri de joie sans pensée ne pouvait être comprise tant que dura la longue nuit du penser et de la foi.

« Quelle frivolité, et quelle grossière frivolité, de vouloir, par un coq-à-l’âne, résoudre les plus difficiles problèmes et s’acquitter des plus vastes devoirs ! »

Mais as-tu des devoirs, si tu ne te les imposes pas ? Tant que tu t’en imposes tu ne peux en démordre, et