Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/392

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Et c’est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c’est par conséquent dans mon intérêt, que je l’efface par un baiser. Si je ne t’aimais pas, tu pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m’émouvoir ; je ne veux dissiper que mon chagrin.

Y a-t-il maintenant quelqu’un ou quelque chose que je n’aime pas et qui a le droit d’être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient.

Je dois donc aimer. Mais si l’amour est un commandement et une loi, il faut qu’on m’y forme et qu’on m’y dresse, et qu’on me punisse si je viens à l’enfreindre. On exercera donc sur moi, pour m’amener à aimer, la plus énergique « influence morale » possible. Et il est hors de doute que l’on peut exciter et induire les hommes à l’amour aussi bien qu’aux autres passions, à la haine, par exemple. La haine se transmet de génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins.

Mais l’amour n’est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il est ma propriété. Méritez, c’est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je n’ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu’il me plaît de fixer.

L’amour intéressé est bien différent de l’amour désintéressé, mystique ou romantique. On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l’homme, mais en général tout « objet » quel qu’il