Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/431

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sur leur vie présente qu’ils doivent consacrer à la conquête de la vraie vie et sacrifier à l’accomplissement de cette tâche et de ce devoir. La servitude de l’existence terrestre, tout entière subordonnée à l’existence céleste qu’ils attendent, est évidente chez les esprits religieux, qui escomptent une vie future et ne voient dans la vie ici-bas qu’un simple stage ; mais il serait, très faux de croire à moins de renoncement chez ceux qui se sont en apparence le plus affranchis des dogmes. Comprenez donc que la « vie « vraie » a un sens bien plus étendu que votre « vie céleste » ! Et, pour en venir immédiatement à la conception libérale de la vie, la « vie vraie » n’est-elle pas « humaine » et « vraiment humaine » ? Faut-il se donner tant de peine pour parvenir à cette vie humaine, ou le premier venu la vit-il dès l’instant où il commence à respirer ? Est-elle pour chacun le présent, ce qu’il a et ce qu’il est actuellement, ou doit-il y tendre comme à une vie future qu’il ne possédera qu’après s’être « lavé de la souillure de l’égoïsme ? À ce compte, la vie n’est que la conquête de la vie, on ne vit que pour faire vivre en soi l’essence de l’Homme et pour l’amour de cette essence. On n’a sa vie que pour en créer une « véritable vie », purifiée de tout égoïsme. Et voilà pourquoi on hésite à l’employer à sa guise : elle a son emploi, son but et on ne peut l’en détourner.

Bref, on a une vocation, un devoir ; on a, par sa vie, à réaliser, à accomplir quelque chose ; ce « quelque chose » en vue duquel la vie n’est qu’un moyen et un instrument a plus d’importance qu’elle, et on la lui doit. On a un dieu qui réclame des victimes vivantes. Les sacrifices humains n’ont perdu à la longue que leurs formes barbares, ils n’ont pas disparu ; à chaque instant, des criminels sont offerts en holocauste à la Justice, et nous, « pauvres pécheurs », nous nous immolons nous-mêmes sur l’autel de l’ « essence humaine », de l’ « Homme », de l’ « Humanité », des idoles ou des dieux, quel que soit le nom qu’on leur donne.