Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/102

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réalité pour un but à lui : Ici comme là, il y a intérêt, sauf que son intérêt national profita aussi aux autres et fut, par conséquent, intérêt national.

Le désintéressement est-il donc si irréel et nulle part existant. Au contraire, rien de plus commun. On peut l’appeler l’« article de Paris » du monde civilisé. Il est absolument indispensable, si, de bon aloi, il coûte trop cher, on se contente de son imitation en toc. Où commence le désintéressement ? Au point où un but cesse d’être notre but, notre propriété dont nous pouvons disposer à loisir ; quand il devient un but, une idée fixe, qu’il commence à nous enflammer, à nous enthousiasmer, nous fanatiser, bref qu’il brise toute tentative d’ergoterie et devient notre maître. Tant qu’on tient le but en son pouvoir on n’est pas désintéressé ; on commence à le devenir quand on dit : « J’en suis là et ne puis agir autrement ». C’est la maxime fondamentale de tous les possédés, on le devient dans un but sacré en déployant un saint zèle en rapport avec ce but.

— Je ne suis pas désintéressé tant que le but reste mon propre but et qu’au lieu d’accepter d’être l’instrument aveugle de son accomplissement, je le remets constamment en question. Je ne dois pas le céder en zèle aux plus fanatiques, et pourtant je demeure à l’égard de ce but d’une froideur glaciale, d’une absolue incrédulité, et d’une irréductible hostilité. Je reste son juge parce que je suis son maître.

Le possédé est un terrain excessivement propice au développement du désintéressement qui croît aussi bien sur les possessions du Diable que sur celles du bon Esprit : ici, vice, folie, etc., là, humilité, résignation, etc… Peut-on jeter les yeux quelque part sans rencontrer partout des victimes de l’abnégation ? Je vois là,