Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/133

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esprit, parce que tout est raisonnable, la nature entière, même les opinions les plus absurdes contiennent de la raison, parce que « tout doit servir à la réalisation du mieux », c’est-à-dire conduire au triomphe de la raison.

Le dubitare de Descartes exprime nettement que seul le cogitare, la pensée, l’esprit est. Rupture absolue avec la conscience commune qui attribue la réalité aux choses dépourvues de raison. Seul le raisonnable est, seul l’esprit est. Tel est le principe de la nouvelle religion, principe purement chrétien. Descartes séparait déjà nettement le corps de l’esprit ; plus tard Gœthe dira : « C’est l’esprit qui bâtit le corps. »

Mais cette philosophie elle-même, cette philosophie chrétienne ne se dépouille pas pourtant de la raison ; c’est pourquoi elle déploie son zèle contre ce qui est « purement subjectif », contre les « fantaisies, les hasards, le libre arbitre » ; elle veut que le divin soit visible en toute chose, et que toute conscience soit une science du divin, et que l’homme voie partout Dieu, mais il n’y a jamais de Dieu sans diable.

C’est pourquoi l’on ne peut nommer philosophe celui qui a les yeux ouverts sur les choses du monde, a de ce monde une vue claire et nette et un jugement sûr, mais qui ne voit dans ce monde que le monde, dans les objets que les objets, bref toutes choses prosaïquement comme elles sont ; mais un philosophe c’est celui qui ne voit, ne fait voir et ne prouve, dans le monde, que le ciel, dans le terrestre que le supraterrestre, dans le temporel que le divin. Le premier peut avoir toute l’intelligence du monde, il demeure ceci que ce qu’aucun œil de l’intelligence ne peut voir, une âme d’enfant ingénûment s’y joue. C’est cette âme d’enfant, cet œil ouvert sur le divin qui fait le philosophe. L’autre