Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/380

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Mais ma propriété ce n’est pas la chose, car toute chose a une existence indépendante de moi ; ma force seule est ma propriété. Ce n’est pas cet arbre, mais le pouvoir, l’action que j’ai sur lui, qui est ma propriété.

Comment en arrive-t-on aujourd’hui à donner pour expression à cette force ce qui est exactement son contraire ? On dit : j’ai un droit sur cet arbre, il est de droit ma propriété. Et je l’ai acquis par la force. On oublie que la force doit persister afin que le moi lui aussi soit affirmé, ou mieux, que la force n’est pas une chose en soi, mais qu’elle existe exclusivement dans le moi puissant, en moi, l’être qui a la puissance. La force est comme toute autre de mes qualités, par exemple, l’humanité, la majesté, etc., élevée à une entité existant en soi, de sorte qu’elle existe encore quand elle n’est plus depuis longtemps ma force. Transformée de la sorte en un fantôme, la force, c’est le droit. Cette force rendue éternelle ne s’efface pas même avec ma mort, mais elle est transmise ou « héritée ».

Aujourd’hui les choses n’appartiennent plus réellement à moi, mais au droit.

D’autre part, tout cela n’est rien de plus qu’un trompe-l’œil. Car la force de l’individu n’est permanente et n’est un droit que par ce fait que d’autres associent leur force à la sienne. L’illusion consiste en ceci qu’ils ne croient plus pouvoir retirer leur force. Il semble de nouveau que ma force soit séparée de moi. Je ne puis plus reprendre la force que j’ai donnée au possesseur ; on a donné « pleins pouvoirs », on s’est dessaisi de la puissance ; on a renoncé à imaginer quelque chose de mieux.