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Page:Strabon - Géographie, trad., Tardieu, tome I, livres I à VI, 1867.djvu/19

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que dit Homère de rochers alternativement couverts et découverts et dans le nom de fleuve qu'il prête à l'Océan[1] une double allusion aux phénomènes des marées : passe pour la première raison, mais la seconde n'a pas de sens, car jamais le mouvement de la marée montante n'a ressemblé au courant d'un fleuve, et celui du reflux bien moins encore. L'explication de Cratès a quelque chose de plus plausible : suivant lui, les qualifications de courant profond, de courant rétrograde, voire même celle de fleuve, désignent bien, dans Homère, l'Océan tout entier, mais ce même nom de fleuve et celui de courant fluvial ne désignent plus qu'une partie de l'Océan, et de l'Océan pris dans le sens restreint, non dans le sens étendu, quand le poète vient à dire[2] :

« Une fois le vaisseau sorti du courant du fleuve Océan pour a entrer au sein de la vaste mer. »

Ici, en effet, il s'agit, non pas de la totalité de l'Océan, mais d'un courant fluvial au sein de l'Océan, autrement dit d'une portion quelconque de l'Océan, que Cratès se représente comme une espèce d'estuaire ou de golfe se prolongeant, à partir du tropique d'hiver, dans la direction du pôle austral. De la sorte, en quittant ledit fleuve, un vaisseau aura pu se trouver encore en plein Océan; s'agit-il, au contraire, de la totalité de l'Océan, on ne conçoit plus qu'après en être une fois sorti le vaisseau s'y retrouve encore. Homère dit bien, à la vérité,

« Quand sorti du courant du fleuve, il fut entré au sein de la mer, »

mais la mer ici ne saurait s'entendre que de l'Océan lui-même. Il demeure donc avéré que le passage, interprété autrement que nous ne le faisons, reviendrait à ceci, « qu'un vaisseau est sorti de l'Océan pour entrer dans l'Océan.

  1. Voy. entre autre passages, Iliade, XIV, 245.
  2. Hom., Odyssée, XII, 1.