Page:Strabon - Géographie, trad., Tardieu, tome I, livres I à VI, 1867.djvu/77

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Quant à ce passage direct à travers l'isthme ou par un des canaux dérivés du Nil, si le poète en eût parlé, personne à coup sûr n'y eût vu autre chose qu'une fiction poétique; mais il n'en a dit mot, et ne serait-ce pas alors introduire gratuitement et contre toute vraisemblance une nouvelle difficulté dans le débat que de l'invoquer? Je dis contre toute vraisemblance, puisque avant la guerre de Troie aucun de ces canaux n'existait encore : Sésostris qui passe pour avoir entrepris d'en creuser un, avait de lui-même renoncé à son projet, présumant le niveau de la mer par trop élevé. Et pour ce qui est de l'isthme même, on ne voit pas qu'il ait pu être navigable davantage. Ératosthène, qui suppose le contraire, se trompe évidemment : il conjecture que l'ouverture du détroit des colonnes d'Hercule n'avait pas encore eu lieu, de telle sorte que la mer intérieure, privée de toute communication avec la mer extérieure, couvrait alors l'isthme entier, lequel se trouvait être d'un niveau sensiblement inférieur au sien, mais qu'une fois la rupture de la barrière effectuée, le niveau de ladite mer s'étant naturellement abaissé, ses eaux laissèrent à découvert tout le terrain aux environs du mont Casius et de Péluse jusqu'à la mer Érythrée. Mais quelle autorité avons-nous qui nous atteste qu'avant l'expédition des Grecs contre Ilion l'ouverture du détroit n'avait pas encore eu lieu ? — Dira-t-on par hasard que, si Homère, pour faire entrer Ulysse dans l'Océan du côté de l'occident, a supposé le détroit déjà ouvert, en faisant d'autre part naviguer Ménélas d'Égypte en Éthiopie, il avait dû le supposer fermé encore? — On oublie qu'in fait dire aussi par Protée à Ménélas, à Ménélas lui-même

« Les dieux te conduiront vers les Champs Élyséens à l'extrémité de la terre[1]. »

Or, de quelle extrémité peut-il être ici question, si ce n'est de l'extrémité occidentale de la terre, de quelque lieu extrême

  1. Homère, Odyssée, IV, 561.