Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/402

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mauvais présages du sacrifice, le dessein qu'il avait d'aller entendre un poëte à l’Athénée, congédia cette escorte, qui reprit le chemin du camp. Cependant la troupe qui était en route arriva devant le palais, et l'on ne put ni l'éloigner, ni avertir le prince. La haine que lui portaient tous les courtisans était si grande, qu'ils encouragèrent les soldats au crime. Ceux-ci envahirent le palais comme Pertinax en mettait tous les serviteurs en défense, et, traversant le portique, ils pénétrèrent jusqu’à l’appartement qu'on nomme « la Sicile, » ou - la salle à manger de Jupiter. » A cette nouvelle, Pertinax leur envoya le préfet Létus ; mais celui-ci, évitant de les rencontrer, sortit, la tête couverte, par une autre porte, et se retira chez lui. Dès qu'ils furent dans l’intérieur du palais, Pertinax s'avança vers eux, et leur fit un long et beau discours qui les apaisa. Maïs un certain Tausius, du corps des Tongres, réveilla leur colère et leurs craintes pour l'avenir, et plongea sa lance dans la poitrine de l'empereur, qui, implorant Jupiter Vengeur, se couvrit la tête avec sa toge, et tomba sous les coups des autres. Électus en tua deux, et périt avec lui. Le reste des valets de chambre du palais (car, à peine empereur, Pértinax avait donné les siens à ses enfants émancipés) prit aussitôt la fuite. Plusieurs écrivains disent que les soldats entrèrent dans la chambre même de Pertinax, et le tuèrent pendant qu'il fuyait autour de son lit.

XII.

L'âge donnait à ce prince un air vénérable. Il avait la barbe longue, les cheveux frisés, beaucoup d'embonpoint, le ventre saillant, la taille tout à fait impériale. Il était médiocrement éloquent, et plutôt agréable que bon. Il passa aussi pour n'avoir pas de franchise. Prodigue de belles paroles, il fut en réalité fort peu libéral ; il poussa, comme particulier, l'avarice jusqu'à faire servir à ses convives des moitiés de laitues et d'artichauts; et, à moins qu’il n'eût reçu quelque pièce de gibier, neuf livres de viande, partagées en trois services, étaient tout ce qu'il offrait à ses amis, quel qu’en fût le nombre. Si l'envoi était plus considérable, il gardait le surplus pour le lendemain, ayant toujours beaucoup de convives. Empereur, il ne changea rien à sa manière de vivre dans le particulier. Voulait-il envoyer à quelqu'un de ses amis des mets de son dîner, c'étaient deux tranches de viande, ou un plat de tripes et quelquefois des aiguillettes de volaille. Jamais il ne mangea de faisan à sa table particulière ; jamais il n'en envoya à personne. Quand il n'avait pas d'amis à sa table, il y admettait sa femme et Valérien, qui avait été son maître, et avec lequel il conversait sur des sujets littéraires. Il ne déplaça aucun de ceux à qui Commode avait donné des charges : il attendait le jour anniversaire de la fondation de Rome[1], pour les améliorations qu'il projetait. Aussi dit-on que les favoris de Commode avaient résolu, pour le prévenir, de le tuer dans le bain.

XIII.

Il ne cessa de témoigner le plus grand éloignement pour l’exercice et l'appareil du pouvoir impérial, et il voulut continuer de vivre aussi simplement que par le passé. Il se montra fort affable avec les sénateurs, et très-sensible

  1. Le 21 avril, Jour des Palilles. Il fut tué le 28 mars.