Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/420

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corps immense ayant la forme humaine. Pendant cette ascension, il compta jusqu’au nombre quatre-vingt-neuf[1], que sa vie ne dépassa pas même d’un an, car il parvint déjà vieux à l’empire. Il fut déposé ensuite au milieu d’un large cercle d’airain, où il resta longtemps seul et comme abandonné. Tandis qu’il craignait de tomber de ces hauteurs, il vit Jupiter l’appeler près de lui, et le conduire parmi les Antonins. Trois Victoires en plâtre et ornées de palmes ayant été, selon la coutume, placées dans le Cirque, un jour qu’on y donnait des jeux, celle du milieu, qui tenait un globe où le nom de Sévère était écrit au milieu des palmes, tomba, poussée par le vent, de dessus le balcon, mais sur ses pieds, et resta debout ; celle qui portait le nom de Géta tomba aussi, et se brisa tout entière; la troisième, consacrée à Bassien, perdit sa palme, et put à peine résister au vent. Après avoir élevé, en Bretagne, le mur ou le retranchement dont nous avons parlé, comme il regagnait, non-seulement vainqueur, mais assuré d’une paix éternelle, La plus prochaine halte impériale, en pensant à ce qu’il pourrait prendre en route pour un augure, un certain Éthiopien, qui était de son armée, et fameux parmi les bouffons pour ses plaisanteries toujours applaudies, s’offrit à lui avec une couronne de cyprès. Troublé par le présage attaché à la couleur de cet homme et à sa couronne, Sévère ordonna de l’écarter, et l’on assure que celui-ci lui dit, pour plaisanter : « Tu as été tout, tu as tout soumis; illustre vainqueur, sois désormais un dieu[2]. » Arrivé dans la ville et voulant y faire un sacrifice, il fut d’abord conduit dans le temple de Bellone, par l’erreur d’un aruspice de campagne ; et ensuite on lui amena des victimes noires. Il s’en retourna mécontent au palais, et ces mêmes victimes le suivirent jusqu’au seuil de la demeure impériale, grâce à la négligence des prêtres.

XXIII.

Il existe dans beaucoup de villes de remarquables ouvrages de ce prince. Ce qui lui fait aussi beaucoup d’honneur, c’est d’avoir réparé, dans Rome, tous les édifices que le temps commençait à détruire, et conservé partout les noms des premiers fondateurs, sans mettre le sien presque nulle part. Il laissa, en mourant, un approvisionnement de blé pour sept années, en sorte que l’on pouvait en distribuer soixante quinze mille boisseaux par jour. La quantité d’huile qu’il laissa aussi devait suffire pendant cinq ans à la consommation de Rome et même de toute l’Italie, qui en manquait. Ses dernières paroles furent, dit-on, celles-ci : « J’ai reçu la république troublée partout ; je la laisse en paix, même avec la Bretagne. Vieux et infirme, je remets à mes Antonins un empire solide, s’ils se conduisent bien; chancelant, s’ils se conduisent mal. » Il fit ensuite donner pour mot d’ordre au tribun de service le mot Travaillons, parce que Pertinax, en montant sur le trône, avait donné Combattons. Il voulait commander à un statuaire une seconde image de la Fortune de l’empire, que l’on plaçait dans la chambre du prince et qui le suivait partout, afin de laisser à chacun de ses fils le symbole du souverain pouvoir. Mais se sentant pressé par l’heure de la mort, il ordonna, dit-on, que celle qui existait fût portée alternativement, de deux jours l’un, dans la chambre des

  1. Sévère ayant vécu 65 ans, Casaubon propose de lire lei seraginta quinque.
  2. Le présage était sinistre, en ce que l’on ne déifiait d’ordinaire que les empereurs morts.