Page:Suarès - Sur la mort de mon frère.djvu/68

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gard de ceux qui ne sont plus, ô cruauté de ceux qui sont encore : c’est la méchanceté sereine de la vie. Dans sa suite, elle ne connaît qu’elle. Moment sur moment, elle fait la somme, et rien ne la détourne. Ce que nous avons eu de plus cher, notre amour l’a mal défendu. Il nous a été arraché : mais c’est nous qui l’abandonnons, — malgré nous, et pour nous-mêmes.

Je bois, je mange ; je dors, si peu que je dorme. Je vis enfin ; et, vivant, je me distrais de mon Pauvre Mort, même quand je le prends à moi et que je me livre tout à lui. Et l’on voudrait que je fisse davantage ? — On n’a pas tant de douleur que de force ; moyennant quoi l’on se divertit de souffrir ; mais il ne faut pas, là dessus, se faire gloire d’avoir vaincu la souffrance.