Page:Suarès - Tolstoï.djvu/107

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l’impuissance où il est de se faire comprendre. Qui dira la mélancolie de Tolstoï, quand on le loue d’avoir écrit les plus beaux romans du monde ? — On doit sentir dans son âme de tels dégoûts : combien peu les éprouvent ? On vante Tolstoï auteur, quand il est, et veut être apôtre ; et l’on daigne lui pardonner ses œuvres, en faveur de ses livres. En secret, comme il rougit, l’admirable vieillard, de cet éloge : Ici, il y a un homme, — et l’on veut un auteur. Pascal l’eût pris d’une autre sorte.

Voilà bien l’isolement profond, celui dont on ne peut sortir, où il faudrait amener les autres, n’y ayant point d’autre moyen de s’unir à autrui, et n’y servant de rien d’aller aux autres : Isolé par les pensées mêmes qu’on a le plus longtemps couvées, et qu’on caresse le plus, de la communion humaine. Une vue étendue du monde est un spectacle sans merci de notre propre solitude. Je pense toujours à Jésus sur sa croix, ou même à Socrate dans sa prison. Jésus peut douter de tous les hommes. Socrate peut douter de la Cité. Pourtant, Socrate a ses amis, et il sourit à la ciguë, en faisant vœu à Esculape : c’est pourquoi Socrate