Page:Suarès - Tolstoï.djvu/25

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contre toutes les passions. Il ne laisse à l’homme que celle du bien. Comme il semble en avoir eu, lui-même, beaucoup d’autres, on incline à lui accorder que sa vérité est sans doute vraie pour l’homme de soixante ans, mais ne peut l’être pour celui de trente.

Toutefois, ce n’est pas bien raisonner : ou, du moins, cette philosophie n’est pas d’un vieillard, pour les raisons qu’on dit. — Quand même l’homme et le chrétien ne pourraient mener une vie bonne qu’à condition de la dépassionner, Tolstoï ne dit point qu’on ne soit bon et juste, que purgé de toutes passions. Il ne donne pas davantage sa religion pour facile ; et il revendique justement la difficulté de son idéal comme une preuve de la bonté de cet idéal même. Un esprit est trop médiocre, en effet, qui s’attache à un idéal aisé, et sous la main. Qui le touche, le détruit : l’infirmité d’âme la plus irréparable est de croire à un idéal sans difficulté. Il vaut infiniment mieux n’y pas croire : en ces matières, le pire parti est de se plaire à s’abuser.

Tolstoï, jeune et passionné, aurait lutté pour sa religion, s’il n’avait dû la chercher ; il aurait