Page:Suarès - Tolstoï.djvu/29

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tique lui semble d’un horizon si restreint qu’il l’appelle barbare. C’est qu’il n’est pas sensible à la beauté en elle-même. On le voit bien, dans sa théorie de l’Art : il nie la beauté, et n’en fait qu’une relation sociale.

Quiconque n’est pas sensible à la beauté ne peut l’être au monde antique. Tolstoï veut qu’on lui définisse la beauté : il a raison de tourner en ridicule toutes les explications de mots qu’on en donne. Cependant, il se défend de définir la bonté : elle se sent de soi ; on la connaît en conscience ; elle passe toute formule. On en pourrait dire autant du beau. Mais Tolstoï mérite qu’on fasse un effort plus généreux. La beauté est la perfection vivante du moi. Elle est la révélation d’une vie sensuelle et parfaite, le plaisir suprême du moi en équilibre, qui jouit pleinement de l’harmonie entre sa volonté et ses moyens, sa pensée et ses sens, sa puissance et ses effets. L’Art est égoïste. Tolstoï ne le purifie pas du moi, ou bien il doit le sacrifier.

Sans opposer une esthétique à une esthétique, il faut reconnaître que Tolstoï juge de l’Art selon des règles morales, comme il juge de la Philoso-