Page:Suarès - Trois hommes - Pascal, Ibsen, Dostoïevski.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui avait été frais, étouffé par les nuages, s’appesantit. Le ciel bleu de la France n’est point implacable ni sublime comme le regard d’un dieu : il a plutôt la fine complaisance d’un œil humain ; et quand il se voile, il invite à la réflexion ou à l’ennui plutôt qu’à la colère. Aussi M. de Séipse s’estimait-il heureux que le temps s’accordât à ses pensées diverses. Il était venu en voiture, à travers les champs mouillés de rosée, frais et limpides, comme la matinée même, le ciel clair et le vent léger. Les blés verts, et les avoines déjà hautes, aux reflets ardoisés, frémissaient dans la plaine, où parfois l’on voyait au loin, — comme un insecte en suit un autre, — une charrue guidée avec lenteur par un paysan.

À mesure qu’on approche de Port-Royal, le pays se fait plus désert. On ne voit plus que des hameaux couchés au ras de la terre. Le plateau âpre règne ; et l’horizon recule, grave et triste, comme tout ce qui est grand. Là, si le ciel penche un regard plus sombre, sourcilleux de nuages et chargé même de menaces, il semble seulement rendre, en miroir fidèle, l’âme des lieux. Nous n’avons affaire, en tout, qu’à l’âme, et comme il en va des hommes, si un pays ne nous livre la sienne, il n’a rien pour nous. Au versant de ce