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Page:Sue - Atar-Gull et autres récits, 1850.djvu/211

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attaqué pendant que je descendais Henri dans la chambre du yacht, se précipita sur moi.

J’étais sans armes. Ayant laissé tomber ma hache, nous nous prîmes corps à corps.

Une lutte acharnée commença.

Son caban à capuchon rabattu l’enveloppait presque entièrement, et cachait son visage. Il enlaça une de ses jambes nerveuses autour des miennes pour me faire perdre l’équilibre ; puis, me serrant à m’étouffer, il voulut m’enlever du pont et me jeter par dessus le bord de la goëlette.

S’il était vigoureux, je ne l’étais pas moins.

Le désir ardent de venger Falmouth, la colère, et, dirai-je cette puérilité, le dégoût de sentir le souffle de ce brigand sur ma joue, me donnèrent de nouvelles forces.

Dégageant une de mes mains de ses mains nerveuses, je pus heureusement prendre le pirate à la gorge. J’y sentis le cordon d’un scapulaire, je le tordis autour de mon poing, et je donnai brusquement deux ou trois tours.

Je commençais probablement à étrangler mon adversaire, car je m’aperçus que son étreinte faiblissait.

Par un hasard heureux, un mouvement du bâtiment nous fit trébucher tous deux.

Déjà épuisé, le pirate tomba les reins cambrés sur le plat-bord du yacht ; un dernier effort, et je le jetais à la mer. J’allais y parvenir en me précipitant sur lui de tout mon poids, lorsqu’il me mordit au visage avec fureur.

Quoique plusieurs coups de feu projetassent à ce moment une vive lueur, et que le capuchon du pirate fût à moitié relevé, je ne pus distinguer ses traits, car sa figure était toute couverte de sang.

Seulement, en me jetant en arrière, je remarquai que ses dents étaient singulièrement blanches, aiguës et séparées.

M’étant de nouveau rué sur lui, je parvins à l’enlever du pont, à le mettre presque en long sur le plat-bord, et enfin à le précipiter par-dessus la lisse du yacht.

Mais, lorsqu’il se vit ainsi suspendu au-dessus de la mer, le pirate fit un dernier effort, s’accrocha d’une main à mon collet, de l’autre à mes cheveux, et me tint saisi de la sorte, lui en dehors du bâtiment, moi en dedans.

Je cherchais à me dégager lorsque je reçus un coup violent sur la tête.

Les mains de l’homme au capuchon s’ouvrirent, et je m’évanouis.


CHAPITRE XXXIII.

Le docteur.


Bien pénible est la tâche que je me suis imposée.

Voici venir encore une des phases de ma vie que je voudrais pouvoir à jamais effacer de ma mémoire… un de ces moments de terrible vertige, pendant lesquels…

Mais l’heure de cette fatale révélation n’arrivera que trop tôt.

Étourdi du coup violent que j’avais reçu, je m’étais évanoui au moment où le capitaine des pirates tombait à la mer.

Lorsque je revins à moi, je me trouvai couché dans ma chambre, la tête et l’épaule enveloppées de linges.

Le médecin de Falmouth, dont j’ai oublié de parler, homme grave et fort instruit, était près de moi.

Ma première pensée fut pour Henri.

— Comment va lord Falmouth ? dis-je au docteur.

— Milord va très-bien, monsieur ; sa blessure n’est heureusement pas dangereuse.

— N’a-t-il pas la cuisse cassée ?

— Une très-forte contusion, plus douloureuse peut-être qu’une fracture, mais peu grave…

— Et les pirates ?

— Ils ont pu échapper et remettre à la voile, après avoir perdu cinq des leurs dans cette attaque, mais sans doute ils emportent un grand nombre de blessés…

— Et nous, avons-nous perdu beaucoup de monde ?

— Trois matelots et un contre-maître ont été tués… de plus, neuf de nos marins sont blessés plus ou moins grièvement.

— Il fait jour, ce me semble ? Quelle heure est-il donc, docteur ?

— Onze heures, monsieur.

— En vérité, je crois rêver… tout ceci s’est donc passé… ?

— Cette nuit…

— Et mes blessures, que sont-elles ?

— Une blessure à la tête et un coup de poignard à l’épaule gauche… Ah ! monsieur, une ligne plus bas… et cette dernière atteinte était mortelle… Mais comment vous sentez-vous ce matin ?

— Bien ; j’éprouve un peu de cuisson à l’épaule gauche, voilà tout ; mais Falmouth, Falmouth ?

— Milord ne pourra pas marcher d’ici à quelques jours, monsieur. Malgré sa blessure, il a voulu m’aider à vous donner les premiers soins et vous veiller cette nuit ; mais, depuis une heure, ses forces l’ont abandonné, et je l’ai fait transporter chez lui ; il repose maintenant. Sitôt qu’il sera réveillé, il viendra de nouveau près de vous, car il a bien hâte de vous exprimer toute sa reconnaissance, monsieur.

— Ne parlons pas de cela, docteur.

— Comment ne pas parler de cela, monsieur ? s’écria le docteur. N’avez-vous pas, au milieu de ce combat acharné, oublié votre propre sûreté pour retirer milord du plus grand péril ? N’avez-vous pas été blessé en accomplissant ce trait de courageuse amitié ? Ah ! monsieur, milord oubliera-t-il jamais que c’est à vous qu’il doit la vie ?… Et nous-mêmes, oublierons-nous jamais que c’est à vous que nous devons la conservation de ses jours ?

— L’attaque a donc été bien vigoureuse, docteur ?

— Partout elle a été terrible… mais nos marins, quoique inférieurs en nombre, l’ont intrépidement repoussée… Ils ont enfin rivalisé d’audace avec vous, monsieur ; car votre sang-froid, votre lutte corps à corps avec le capitaine de ces forbans ont fait l’admiration de tout notre équipage.

— Et vous m’assurez que la blessure de Falmouth n’est pas dangereuse ?

— Non, monsieur… mais, si vous le permettez, je vais aller voir s’il n’a pas besoin de moi.

— Allez, allez, docteur et revenez m’avertir quand je pourrai le voir.

Je restai seul.


CHAPITRE XXXIV.

L’amitié.


Henri me devait la vie.

Je ne saurais dire avec quel orgueilleux bonheur mon cœur répétait, commentait ces paroles !

Combien je bénissais le hasard qui m’avait mis à même de prouver à Falmouth que mon amitié était vive et vraie.

Jusqu’alors, tout en me livrant à l’entraînement de cette affection, j’avais senti qu’il lui manquait la consécration solennelle de quelque grand dévouement.

Si j’attachais quelque prix à mon acte de courage, c’est qu’en m’élevant à mes yeux, c’est qu’en me montrant que j’étais capable d’une résolution généreuse, cet acte me rassurait sur la solidité de mon attachement pour Falmouth.

Or, avec mon caractère, croire en moi, c’était croire en lui ; me croire ami vrai, ardent, dévoué, c’était me croire digne d’inspirer une amitié vraie, ardente et dévouée.

Je ressentais cette confiance intrépide du soldat qui, sûr désormais de se comporter hardiment au feu, attend avec impatience et sécurité une occasion nouvelle de prouver ce qu’il vaut.

La réaction de cette confiance fut telle qu’elle influa même sur mes sentiments passés.

Fier de ma conduite envers Falmouth, je compris alors qu’Hélène, que Marguerite avaient pu m’aimer pour des qualités que leur cœur devinait sans doute, et qui venaient de se révéler à moi.

Pour la première fois enfin je compris, bonheur ineffable !… tout l’amour que ces deux nobles créatures avaient eu pour moi…

Une heure après que le docteur m’eut quitté, la porte de ma chambre s’ouvrit, et je vis entrer Falmouth, porté par deux de ses gens.

À peine son fauteuil fut-il approché de mon lit qu’Henri se jeta dans mes bras.

Dans ce muet embrassement, il appuyait avec force sa tête sur mon épaule ; je sentis ses larmes couler, ses mains trembler d’émotion ; il ne put me dire que ces mots : Arthur… Arthur… mon ami !…

Bien des années se sont écoulées depuis ce beau jour ; bien des noirs chagrins ont passé sur cette joie si radieuse, et rien n’en a pu altérer le souvenir, car maintenant encore mon cœur bat délicieusement à ces pensées !

Il est impossible de dire avec quelle délicatesse, avec quelle effusion Falmouth me témoigna sa reconnaissance. Les termes me manquant pour peindre ce que l’accent, ce que l’expression des traits, des regards, de la voix peuvent seuls traduire…

Les vents contraires durèrent plusieurs jours et nous empêchèrent d’atteindre Malte aussi tôt que nous l’avions espéré.

La blessure de Falmouth marchait rapidement vers sa guérison ; mais la mienne fut d’une cure plus lente.

Henri, pendant cette période, me prodigua les soins du frère le plus tendre.

Avec quelle anxiété douloureuse chaque matin il épiait le regard du docteur, lorsque celui-ci levait l’appareil de ma blessure ! Que de minutieuses questions sur l’époque probable de ma guéridon ! Quelles étaient enfin son impatience ou sa joie, lorsque les prévisions du docteur en éloignaient ou en approchaient le terme !

Parlerai-je encore de mille riens, de mille attentions charmantes, qui