Page:Sue - Atar-Gull et autres récits, 1850.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


L’abbé, s’écria Ewen hors de lui, l’abbé, finissez, ou bien !…

CHAPITRE PREMIER.

Diougan Gwenc’ Hlan[1].


Le vent d’hiver souffle de l’ouest avec fureur ; de grands nuages noirs s’amoncellent à l’horizon ; le soleil se couche rouge et enflammé, il jette sur les roches granitiques de la côte de Bretagne une pâle et dernière lueur, triste comme un adieu.

L’Océan gronde, la nuit approche, les hautes lames vertes perdent leur transparence, elles deviennent sombres, elles se heurtent, elles se brisent, et leur écume paraît plus blanche à mesure que les ténèbres descendent sur les flots.

Loin, bien loin du rivage, battue par des vagues énormes qui la couvrent à chaque instant d’une neige amère, on voit une frêle chaloupe perdue dans l’immensité de cette mer en furie.

Quelquefois ses voiles, cédant à la violence de l’ouragan, s’inclinent et effleurent le sommet de ces montagnes liquides ; tantôt elle plonge dans l’abîme, tantôt elle s’élance sur le dos d’une vague monstrueuse pour être précipitée dans un nouveau gouffre.

L’obscurité augmente, le vent redouble, la mer se creuse. À la clarté blafarde du crépuscule, on distingue deux hommes assis dans cette barque, qui semble devoir être vingt fois engloutie avant d’arriver au port.

L’un tient le gouvernail d’une main ferme ; cet homme s’appelle Mor-Nader : c’est un pilote de l’île de Sein. On dit que Mor-Nader est doué de la seconde vue ; on le redoute. Il prédit l’avenir ; ses prédictions sont funestes ; presque toujours l’événement les justifie. Son langage est souvent imagé, poétique, comme celui des bardes armoricains qui se sont perpétués jusqu’à nos jours. Mor-Nader est vieux, ses longs cheveux blancs, fouettés par le vent, semblent hérissés sur sa tête ; la froidure est âpre, sa poitrine et

  1. Diougan Gwenc’ Hlan (la Prédiction de Gwenc’ Hlan), — un des chants les plus populaires de la Bretagne, dialecte de Cornouaille.