Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

y resta empreinte. Il se soutenait à peine, et s’appuya sur le mur de la cabane.

Yvonne continua :

« Que tu aies jeté ton bienfaiteur à la mer après l’avoir poignardé, c’est bien ! ton âme ira à Teus’s ; mais que tu aies frappé Mélie sans la tuer, c’est mal ; car, pour te suivre, elle a quitté ce beau pays où croissent les poisons les plus subtils ; où les serpent jouent et s’enlacent au clair de lune, en confondant leurs sifflements ; où le voyageur entend, en pâlissant, le râlement de la hyène, qui crie comme une femme qu’on égorge ; ce beau pays où les vipères rouges font des morsures qui tuent, qui portent dans les veines un venin qui les corrode. » Et Yvonne tordait ses bras, comme si elle eût ressenti ces affreuses convulsions.

« Assez, assez ! dit Kernok, qui sentait sa langue se glacer.

— Tu as porté le fer sur ton bienfaiteur et sur ta maîtresse, leur sang retombera sur toi, ton terme approche ! Pen-Ouët ! » cria-t-elle à voix basse.

À cette voix sourde et creuse, Pen-Ouët, qu’on eût cru endormi profondément, se leva dans une espèce d’accès de somnambulisme, et se mit aux genoux de sa mère, qui prit ses mains dans les siennes, et, appuyant son front contre son front :

« Pen-Ouët, il demande ce que Teus’s lui accorde à vivre… Au nom de Teus’s, réponds-moi. » L’idiot poussa un cri sauvage, parut réfléchir un instant, recula d’un pas, et frappa le sol avec la tête de cheval, qu’il ne quittait plus. Il frappa d’abord cinq fois, puis encore cinq fois, puis trois.