Autour de lui gémissaient d’autres blessés, jetés pêle-mêle sur le plancher en attendant que M. Durand pût quitter le maillet pour le couteau.
« Sacrebleu ! j’ai soif, continua maître Zéli ; je me sens faible. C’est à peine si j’entends nos canons parler ; est-ce qu’ils sont enrhumés ? » Au contraire, les bordées étaient plus nourries et plus éclatantes que jamais : c’est que l’audition de maître Zéli était déjà affaiblie par les approches de la mort.
« Oh ! j’ai soif, dit-il encore, et froid, moi qui avais si chaud tout à l’heure ! » Puis, s’adressant à un confrère :
« Fais donc attention, toi, le Polonais, qu’est-ce que tu as à te roidir comme ça ? Oh ! cré coquin ! est-il laid ! Tiens, voilà ses yeux blancs. » C’en était un qui expirait dans les dernières convulsions de l’agonie.
« Durand, viens donc, cordieu ! cria de nouveau Zéli, viens voir ma jambe, mon vieux.
— Je suis à toi dans l’instant ; un coup de maillet encore, et l’avarie que nous avions à la flottaison ne paraîtra pas plus que la trace d’un aviron sur la surface de l’eau. Allons, à ton tour ; nous nous sommes donc cognés ?
— Oui, un peu », répondit Zéli.
M. Durand décrocha le fanal et l’approcha de maître Zéli, qui grimaça une espèce de sourire, tout fier de la surprise de M. Durand.
« Tiens, dit le chirurgien-charpentier-canonnier, où est donc ton autre jambe, farceur ?
— Là-haut, sur le gaillard d’avant, encore peut-être… Allons, débarrasse-moi de celle-ci, car elle me gêne. On dirait qu’on m’a attaché un boulet de trente-six au pied. Oh ! j’ai soif, toujours soif ! »