Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/92

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— Et moi aussi », répondit Grain-de-Sel.

Une rumeur sourde annonça l’arrivée de M. Karadeuc, le desservant de la paroisse.

Il officia.

Après l’office, M. Karadeuc monta en chaire.

Alors les fidèles saisirent ce moment pour éternuer, se moucher, tousser, bâiller, soupirer, se tourner et se retourner.

Puis on fit silence… mais un grand silence !

Le prédicateur s’avança sur le bord de sa tribune, y étala des mains osseuses et velues ; ses yeux brillaient sous ses épais sourcils roux, et sa bouche grimaçait un singulier sourire… puis il commença :

« Mes chers frères, apprehendi te ab extremis terrae et a longinquis ejus vocavi te ; elegi te, et non abjeci te ; ne timeas, quia ego tecum sum. »

Comme l’auditoire se composait de bas Bretons renforcés, cet exorde fit peu d’effet.

« Oui, mes frères, ce qui veut dire : Je t’ai pris par la main pour te ramener des extrémités de la terre ; je t’ai appelé des lieux les plus éloignés ; je t’ai choisi, et je ne t’ai pas rejeté ; ne crains rien, parce que je viens à toi.

« Or, mes frères, ces paroles peuvent s’appliquer au vertueux, au digne, au respectable vieillard que nous pleurons tous.., en un mot, à Barbe-Nicolas Kernok, ancien négociant. » Ici M. Durand donne un premier coup de coude à Grain-de-Sel, qui, se prenant le nez entre le pouce et l’index, laisse échapper une espèce de mugissement sourd et de rire étouffé.

« Hélas ! mes frères, reprit le curé, cet ancien négociant, ce Kernok, c’était aussi un agneau éloigné du bercail ! Cet agneau était aussi dans des pays éloignés… et la Providence l’a pris par la main.

— Par la patte, dit le vieux Durand.

— Comparer le capitaine à un agneau ! » répondit Grain-de-Sel en mettant sa toque devant sa figure.

Le prédicateur continua nonobstant.

« La Providence, mes frères, lui a dit aussi :