Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 3-4.djvu/328

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Penché en avant de la voiture, il poussait des cris de sauvage entrecoupés de ces mots : Vive la reine Bacchanal ! Après quoi il faisait grincer et évoluer rapidement une énorme crécelle qu’il tenait à la main.

Couche-tout-Nu, debout à côté de Nini-Moulin, faisait flotter un étendard de soie blanche, où étaient écrits ces mots : Amour et joie à la reine Bacchanal !

Couche-tout-Nu avait vingt-cinq ans environ. Sa figure, intelligente et gaie, encadrée d’un collier de favoris châtains, amaigrie par les veilles et par les excès, exprimait un singulier mélange d’insouciance, de hardiesse, de nonchaloir et de moquerie ; mais aucune passion basse ou méchante n’y avait encore laissé sa fatale empreinte. C’était le type parfait du Parisien, dans le sens qu’on donne à cette appellation, soit à l’armée, soit en province, soit à bord des bâtiments de guerre ou de commerce. Ce n’est pas un compliment, et pourtant c’est bien loin d’être une injure ; c’est une épithète qui tient à la fois du blâme, de l’admiration et de la crainte ; car si, dans cette acception, le Parisien est souvent paresseux et insoumis, il est habile à l’œuvre, résolu dans le danger, et toujours terriblement railleur et goguenard.