Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/291

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Pourtant, mademoiselle de Cardoville reprit froidement :

— Puisque vous saviez, monsieur, les propositions que vous étiez chargé de faire au régisseur de la terre de Cardoville si honteuses, si perfides, comment avez-vous pu consentir à vous en charger ?

— Pourquoi, pourquoi ? reprit Rodin avec une sorte d’impatience pénible. Eh ! mon Dieu ! parce que j’étais alors complètement sous le charme de l’abbé d’Aigrigny, un des hommes les plus prodigieusement habiles que je connaisse, et, je l’ai appris depuis avant-hier seulement, un des hommes les plus prodigieusement dangereux qu’il y ait au monde ; il avait vaincu mes scrupules en me persuadant que la fin justifiait les moyens… Et je dois l’avouer, la fin qu’il semblait se proposer était belle et grande ; mais avant-hier… j’ai été cruellement désabusé… un coup de foudre m’a réveillé. Tenez, ma chère demoiselle, ajouta Rodin avec une sorte d’embarras et de confusion, ne parlons plus de mon fâcheux voyage à Cardoville. Quoique je n’aie été qu’un instrument ignorant et aveugle, j’en ai autant de honte et de chagrin que si j’avais agi de moi-même… Cela me pèse et m’oppresse. Je vous en prie, parlons plutôt de vous, de ce qui vous intéresse, car l’âme se