Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/515

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« En songeant à mon dévouement pour lui, combien de fois, dans le plus secret, dans le plus profond abîme de mon cœur, je me suis demandé si jamais la pensée lui est venue de m’aimer autrement que comme une sœur, s’il s’est jamais dit quelle femme dévouée il aurait en moi !

« Et pourquoi se serait-il dit cela ? Tant qu’il l’a voulu, tant qu’il le voudra, j’ai été et je serai pour lui aussi dévouée que si j’étais sa femme, sa sœur, sa mère. Pourquoi cette pensée lui serait-elle venue ? Songe-t-on jamais à désirer ce qu’on possède ?…

« Moi mariée à lui… mon Dieu !… Ce rêve aussi insensé qu’ineffable… ces pensées d’une douceur céleste, qui embrassent tous les sentiments, depuis l’amour jusqu’à la maternité… ces pensées et ces sentiments ne me sont-ils pas défendus sous peine d’un ridicule ni plus ni moins grand que si je portais des vêtements ou des atours que ma laideur et ma difformité m’interdisent ?

« Je voudrais savoir si, lorsque j’étais plongée dans la plus cruelle détresse, j’aurais plus souffert que je ne souffre aujourd’hui, en apprenant le mariage d’Agricol. La faim, le froid, la misère, m’eussent-ils distraite de cette douleur atroce ? ou bien cette douleur atroce