Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 7-8.djvu/72

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Elle sourit, au contraire, car jetant un fier et doux regard sur le Bacchus indien, puis sur elle-même, elle se demandait ce que deux êtres si jeunes, si beaux, si libres, si amoureux, pouvaient avoir à cette heure à redouter de ce vieux homme crasseux, à mine ignoble et basse, qui s’avançait tortueusement, avec ses circonvolutions de reptile. En un mot, loin de ressentir de la colère ou de l’aversion contre Rodin, la jeune fille n’éprouva qu’un accès de gaieté moqueuse, et ses grands yeux, déjà étincelants de félicité, pétillèrent bientôt de malice et d’ironie.

Rodin se sentit mal à l’aise. Les gens de sa robe préfèrent de beaucoup les ennemis violents aux ennemis moqueurs ; tantôt ils échappent aux colères déchaînées contre eux, en se jetant à genoux, en pleurant, gémissant, en se frappant la poitrine ; tantôt, au contraire, ils les bravent en se redressant armés et implacables ; mais devant la raillerie mordante, ils se déconcertent aisément. Ainsi fut-il de Rodin ; il pressentit que, placé entre Adrienne de Cardoville et M. de Montbron, il allait avoir, ainsi qu’on dit vulgairement, un fort mauvais quart d’heure à passer.

Le comte ouvrit le feu : tournant la tête par-dessus son épaule, il dit à Rodin :