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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/101

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nourrice, soupirant et de nouveau s’attristant ; — que faire, mon Charles ?

— Je l’ignore encore, — répondit Charles Delmare pensif et sombre. — Je vais réfléchir, chercher les moyens de… ou plutôt, — reprit-il avec accablement, — je vais d’abord tâcher de dormir un peu ; je suis brisé, j’ai la tête en feu ; le sommeil, si je puis le trouver, me calmera, et, à mon réveil, mon esprit reposé sera plus lucide. Bonsoir, bonne Geneviève, — ajouta Delmare en tendant affectueusement la main à la nourrice. — Cet entretien avec toi m’a soulagé. Il est si bon de pouvoir épancher son cœur dans un cœur fidèle et dévoué !

— Mon Charles, — reprit Geneviève d’une voix profondément émue et conservant entre les siennes la main que son fieu lui avait tendue, — à défaut de ta pauvre mère morte en te mettant au jour, à défaut de ton brave père, qui t’aimait tant, je suis peut-être la personne qui te chérit le plus au monde ; tu es quasi mon enfant, je suis quasi ta mère, puisque je t’ai nourri.

Et la digne femme ajouta timidement, les yeux pleins de pleurs :

— Il y a bien longtemps que je ne t’ai embrassé, mon Charles. Il me semble qu’en ce jour de grand chagrin, ça nous porterait bonheur à tous deux si tu me permettais de…

— Viens, viens, bonne mère, — dit Charles Delmare attendri et tendant les bras à sa nourrice. — Je souffrais, j’avais le cœur gros de larmes, merci à toi… bonne mère !

Charles Delmare, ne contenant plus les pleurs qui l’oppressaient, embrassa avec une effusion filiale sa vieille nourrice, et bientôt chercha dans le sommeil l’oubli éphémère de ses cruelles appréhensions.


XVII


Lorsque, par une belle matinée d’été qui promettait un jour, splendide, Charles Delmare arriva au Morillon, il aperçut de loin sur la terrasse, Jeane occupée à surveiller les apprêts d’une collation matinale servie à l’ombre d’une tonnelle, cabinet de verdure impénétrable aux rayons du soleil et situé à l’extrémité d’une