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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/103

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moment encore, elle avait conscience d’échapper par ce mariage à un danger imminent.

Et elle ajouta :

— Le père et la mère de Maurice ont consenti à nous fiancer hier soir, après votre départ.

— Que dites-vous ?… Il serait vrai ! — s’écria Charles Delmare ravi d’apprendre la soudaine résolution de M. et madame Dumirail, résolution qui, selon lui, et dans les circonstances actuelles, était de la plus grande importance et calmait en partie les anxiétés dont il souffrait la veille.

Aussi, dans l’expansion de sa joie, cédant à la force d’attraction qui, en ce moment presque solennel, le poussait vers sa fille, il la serra dans ses bras et la baisa au front en s’écriant d’une voix entrecoupée de larmes :

— Oh ! maintenant, je ne crains plus rien pour votre avenir, chère, chère enfant bien-aimée !

Ces derniers mots : « Chère enfant bien-aimée !… » un père seul pouvait les accentuer comme Charles Delmare les accentua : aussi, l’expression de sa voix, celle de son regard noyé de pleurs attendrirent tellement Jeane, que, loin d’être surprise ou embarrassée de la familiarité qu’il venait de se permettre en la baisant au front et en la serrant dans ses bras, la jeune fille, cédant peut-être à l’attraction mystérieuse de la nature, prit les mains de son père entre les siennes avec un mélange d’affection et de respect, et, les yeux humides, lui dit :

— Je savais combien vous étiez affectionné à Maurice et à moi, je savais quelle part vous prendriez à notre bonheur ; mais vos larmes, votre émotion me disent que ce n’est pas une amitié ordinaire que vous ressentez pour nous, monsieur Delmare.

Puis, s’interrompant, Jeane reprit ingénument :

— Mon Dieu ! qu’est-ce donc que j’éprouve ? Votre joie devrait augmenter ma félicité : cependant elle l’attriste… non, elle ne l’attriste pas, elle la rend plus sérieuse. Je n’ai plus rien à désirer maintenant. Pourquoi donc me semble-t-il que quelque chose me manque, depuis que tout à l’heure vous m’avez avec tant de bonté appelée votre enfant ?

— Ce qu’il vous manque, sans doute, c’est la présence de votre mère en ce jour si heureux pour vous, chère enfant ! hasarda de dire d’une voix tremblante Charles Delmare, éprouvant un charme mélancolique à s’entretenir pour la première fois d’Emmeline avec sa fille, l’enfant de leur amour. Hélas ! ajouta-t-il, rien ne peut remplacer la tendresse d’une mère !