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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/117

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citez quelquefois d’être bon, et, après tout, c’est vrai, je suis bon ! De quel droit, grand Dieu ! serais-je méchant ? Eh bien, je me sens meilleur encore… Que vous dirais-je ? il me semble que, si j’avais le malheur d’avoir un ennemi, un ennemi acharné, j’irais à lui, et que, malgré l’acharnement de sa haine, je lui dirais de si bonnes paroles, que je le défierais de continuer à me haïr !

— Cher Maurice, — murmurait Jeane les yeux humides, — noble cœur, brave cœur !

— Oh ! oui, le plus noble, le meilleur des cœurs ! — dit à Jeane Charles Delmare d’un ton pénétré. — Voilà pourquoi il vous aime, voilà pourquoi vous l’aimez ; croyez-moi, l’instinct de vos âmes vous rapproche, parce que, à jamais unies, elles puiseront dans votre commun amour la force de rester inaccessibles au mal et de défier les méchants.

— Si vous saviez, cher maître, combien vos paroles sont vraies en ce qui nous concerne ! Oui, depuis que je me sens aimé de Jeane, oui, depuis que je sais qu’elle sera la compagne de ma vie, je défie le malheur ; que dis-je ? je ne crois plus au malheur ! Je ris de ce qui m’avait alarmé, navré, car, enfin, le croiriez-vous ? hier au soir, est-ce que je n’ai pas poussé la stupidité jusqu’à être jaloux d’Albert, mais jaloux jusqu’à la haine ? Ce matin, ma première pensée a été de rire de ma sottise, de me reprocher mon mauvais sentiment au sujet de ce pauvre cousin, et de me promettre de redoubler envers lui de cordialité. Aussi, j’ai monté tout à l’heure à sa chambre, croyant le rencontrer chez lui ; mais il était déjà sorti, et…

Puis, s’interrompant, Maurice ajouta en faisant un pas au dehors de la tonnelle :

— Voici justement ce cher Albert avec mon père, ma mère et ma tante.

En effet, M. et madame Dumirail, madame San-Privato et son fils entrèrent bientôt dans le cabinet de verdure ; les maîtres du logis, après avoir accueilli Charles Delmare avec leur affectuosité habituelle, s’assirent, ainsi que leurs hôtes, autour de la table rustique où l’on avait servi la collation matinale qui devait précéder l’ascension du chalet.

Charles Delmare, dissimulant la profonde anxiété que lui causait la découverte de l’espionnage dont il venait d’être l’objet de la part de San-Privato, examina celui-ci avec un redoublement d’attention : il fut d’abord frappé de la complète métamorphose de la physionomie du jeune diplomate ; cette métamorphose déjouait les effets probables que Charles Delmare attendait du portrait sa-