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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/120

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M. Dumirail, elle risquait de le blesser, ainsi que sa femme, en exagérant la robuste santé de Maurice jusqu’au ridicule.

En effet, M. et madame Dumirail, sans être précisément choqués, semblaient assez embarrassés des impertinentes affectations de madame San-Privato, tandis que Charles Delmare surprenait le regard de Jeane empreint d’une sorte de regret à l’endroit des trop florissantes couleurs, de la rayonnante figure de Maurice, que faisait encore ressortir le pâle et mélancolique visage d’Albert ; un silence d’un instant avait succédé aux dernières et perfides paroles de madame San-Privato ; ce silence, Charles Delmare le rompit en s’adressant à madame Dumirail :

— Je suis complétement de l’avis de madame votre belle-sœur, — vous devez beaucoup vous féliciter, madame, d’avoir un fils alerte, robuste et d’une vaillante santé ; je ne sais qui a dit cette grande vérité : « Les bienportants sont généralement les bienveillants, et les malportants les malveillants. » C’est tout simple, une santé maladive entraîne avec soi, au moral et au physique, tant de désagréments : l’abattement, la taciturnité, la mélancolie, sans parler des médicaments et de leurs inconvénients, car Dieu sait la fréquence des rapports intimes que ces intéressants mélancoliques sont, hélas ! obligés d’entretenir avec… les apothicaires…

Le sang-froid comique de Charles Delmare et sa plaisanterie d’un goût douteux, il le savait, mais il la croyait opportune, excitèrent l’hilarité de M. et madame Dumirail, de Maurice et même de Jeane, qui, surprise dans sa rêverie par ce sarcasme imprévu, se mit naïvement à rire. Les sourcils de San-Privato se froncèrent imperceptiblement ; sa mère lança un regard venimeux à Charles Delmare, qui, s’adressant à elle d’un ton pénétré :

— Je compatis sincèrement, madame, aux inquiétudes maternelles que vous donne la chétive et souffreteuse santé de monsieur votre fils, et je m’estime très-heureux de pouvoir vous rassurer à ce sujet.

— Comment cela, monsieur ?

— Monsieur votre fils est sujet à de fréquentes migraines ?

— Oui, monsieur.

— Il est un moyen assuré de le guérir.

— J’en doute, monsieur… Nous avons jusqu’ici vainement essayé de…

— Je vous en supplie, ma mère, et je vous le demande en grâce, monsieur, — dit Albert s’adressant à Charles Delmare, — qu’il ne soit plus question de ma santé ; car…