— Non, mon frère !
— Moi, je n’oserais ?
— Non, encore une fois.
— Morbleu ! si la vocation de Maurice n’était pas aussi prononcée qu’elle l’est pour la vie rustique, je te prouverais…
— Quoi !
M. Dumirail se tut, et, après un moment de silence réfléchi, pendant lequel son bon sens naturel reprit son empire, il dit en souriant à demi :
— Ma sœur, j’ai d’humbles excuses à t’adresser.
— À propos de quoi, ces excuses ?
— Je t’ai souvent reproché d’être une tête sans cervelle, et voilà que je déraisonne complétement. Tu as le droit de te moquer de moi, uses-en largement.
— Me moquer de toi ?
— À très-juste titre ! car tout à l’heure, entraîné par l’ardeur de la discussion, j’aurais, je le crois, Dieu me pardonne, fini par regretter que Maurice fût devenu, par goût, agriculteur, tant je tenais à te prouver qu’il eût été tout aussi bien diplomate que monsieur ton fils. Étais-je assez fou ? Hélas ! hélas ! pauvres pères que nous sommes ! les plus sages d’entre nous déraisonnent lorsque notre amour-propre paternel nous emporte et nous fait perdre le sens commun !
— Quel aveu ! Ah ! ah ! mon cher frère ! tu en conviens donc : l’amour-propre paternel t’aveuglait à ce point, que tu plaçais au même niveau ton fils et le mien ; tandis qu’au contraire, tu le reconnais toi-même, jamais ce pauvre gros Maurice ne pourrait…
— Un instant ! je n’avoue pas cela du tout, car je maintiens que…
Mais M. Dumirail, s’interrompant, et moitié souriant, moitié fâché :
— Va-t’en au diable ! Décidément, la déraison est, il y paraît, contagieuse lorsque l’on se trouve côte à côte avec une créature déraisonnable. Dieu merci, le charme va se rompre, car nous allons descendre de chariot. Nous voici arrivés au chalet.
M. Dumirail descendit de la voiture, qui devait encore parcourir la distance d’une vingtaine de pas.
— Non, non ! le charme ne sera pas rompu, — pensait madame San-Privato s’abandonnant à sa joie haineuse ; — le coup a porté, tu envies mon fils, et, j’en ai le pressentiment, cette envie, je ne sais encore ni quand ni comment, troublera ton insolent et stu-