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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/145

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dre le bras en descendant du chariot, afin de gravir à pied les dernières pentes de la montagne.

Durant ce trajet assez long, la jeune fille, se montrant d’une tendresse charmante envers son fiancé, avait adressé quelques innocentes et fines moqueries à Albert, ayant, d’ailleurs, instruit Charles Delmare de la vive et caustique réponse faite par elle à madame San-Privato, lorsque celle-ci, après la collation du matin, avait presque grossièrement raillé les forces physiques de Maurice.

M. Dumirail, affecté de la ruine de sa sœur et toujours résolu de lui refuser un prêt stérile, mais de la recevoir fraternellement chez lui, où elle trouverait une honorable et cordiale hospitalité, se sentait malcontent, agité, indécis ; sa conversation avec madame San-Privato portait déjà ses fruits amers ; il attendait avec impatience le moment de confier ses impuissantes agitations à Charles Delmare, comptant sur sa sagesse, sur ses conseils et même sur la sévérité de ses reproches pour combattre les pensées mauvaises dont il était tourmenté.

Madame Dumirail, ignorant l’entretien de madame San-Privato et de son frère, n’éprouvait pas les mêmes anxiétés que celui-ci ; son excellent sens avait complétement repris sur elle son empire, et, si parfois encore elle comparait l’avenir de Maurice et d’Albert, elle n’éprouvait plus l’ombre d’un regret en songeant à l’obscurité de l’existence de son fils, car cette obscurité même assurerait son bonheur.

Madame San-Privato avait, durant les préparatifs du déjeuner, raconté en peu de mots à son fils le refus de M. Dumirail au sujet du prêt de cinquante mille francs, et l’offre qu’il lui faisait de venir se retirer au Morillon ; elle avait enfin fait part à Albert de la certitude où elle était d’avoir fait germer l’envie dans le cœur de son frère, en citant à ce sujet quelques mots saillants de leur entretien. San-Privato, frappé de ces derniers faits et de leurs conséquences possibles, inaperçues de l’esprit borné de sa mère, se promit d’accomplir l’œuvre ébauchée par elle, en agissant directement sur Jeane et sur Maurice le plus promptement possible. Le hasard le servit à souhait.

L’entretien, nous l’avons dit, se ressentait des secrètes préoccupations de plusieurs des convives et se traînait aussi languissant que leur appétit. Maurice lui-même, rassasié par le bonheur, regardait Jeane et oubliait sa faim. Cependant, faisant à lui seul presque tous les frais de la conversation, il vint à parler de la fameuse grotte de Tréserve, située dans le voisinage des plateaux sur le revers de la montagne, et célèbre par ses stalactites, ses